Peur et hypersensibilité avec la « cinémathérapie »

Devant un enfant très anxieux et/ou hypersensible, je donne souvent des stratégies visant à faire rapidement diminuer le stress général. Cela est un préalable pour travailler plus en profondeur, si je puis dire… Viens ensuite souvent le temps d’affronter ses peurs (pour les enfants phobiques) ou la peur (pour les hypersensibles) ! C’est d’ailleurs l’une des bases en thérapie cognitivo-comportementale, ou TCC.

En effet, le problème ne vient pas du fait qu’on ressente de la peur, mais plutôt qu’on se mette à paniquer ou souffrir incroyablement face à elle. Il ne s’agit donc pas d’éviter à tout prix qu’une peur survienne, mais bien d’apprendre à ne plus la craindre.

Comment ? En s’entraînant, en s’habituant !

Quand on parle de confrontation à la peur en vue d’une habituation, différentes stratégies d’exposition sont possibles. L’exposition doit idéalement être adaptée à la personne, progressive, régulièrement répétée et assez prolongée. Elle peut être en réel, en imagination, en réalité virtuelle ou interoceptive – alors pourquoi pas une exposition cinématographique ?

Il convient donc de proposer à un enfant hypersensible, lorsqu’il n’est pas trop envahi par l’angoisse, de se confronter à la peur! En s’adaptant évidemment à sa situation singulière.

Certains grands classiques du cinéma permettent cela. Les effets spéciaux un peu vintages rappellent le caractère fictionnel d’une peur alors sans objet, et rendent ces films plutôt adaptés à la plupart des enfants hypersensibles à partir de l’âge de raison. Par ailleurs, c’est l’occasion pour les parents d’évoquer leurs propres stratégies de coping face à un film effrayant, en tant qu’adulte mais aussi lorsqu’ils étaient plus jeunes : anticiper les moments qui font peur, se cacher les yeux, parler d’un détail drôle…  Ces stratégies sont souvent imiter spontanément par les enfants et peuvent être utiles dans d’autres situations. Aussi, le partage de ces moments avec les parents et le plaisir pris compensent souvent largement la peur et motivent les enfants à s’y exposer.
Il suffit alors de leur proposer le film, à partir de vos souvenirs et/ou de la bande annonce.
Bref, voici une petite sélection de grands chefs-d’œuvre que les parents apprécient généralement revoir !
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Et histoire de ne pas bouder votre plaisir, M. CYRIL ROQUE, passionné de cinéma, a accepté de partager une de ses playlists, tout en vous livrant l’intérêt structurant de ces grands classiques pour l’enfant qu’il était (et, à le relire, qu’il est encore!).

Vivre l’expérience Indiana Jones…

C’est s’armer contre les potentiels dangers, accompagné d’un des plus grand héros de l’histoire du cinéma. Charismatique, beau, intelligent, l’homme au chapeau et au fouet affronte des pièges de civilisations oubliées, telle cette boule démesurée (issue à l’origine d’une bande dessinée de Picsou) venant écraser tout intrus dans les lieux sacrés, mais aussi faisant participer son spectateur à la révélation de secrets ancestraux, initiant ainsi les plus jeunes à l’Histoire, l’archéologie via les trésors les plus stimulants pour l’imaginaire. Il est aussi perspicace, malin et empli de valeurs morales, ce qui peut modéliser un référent solide et motivant pour se structurer psychologiquement.

Des aventures trépidantes pleines de dangers, aidées par une musique identifiable et fredonnante à l’infini, mais aussi des péripéties emplies d’humour pour désamorcer les angoisses que le spectacle peut procurer, ce rythme et cet humour qui doit tout autant au Tintin d’Hergé et à «l’Homme de Rio» avec Belmondo (dont le réalisateur avoue puiser son inspiration) permettent ainsi dans le confort de son salon d’affronter de diaboliques méchants que l’on adore voir se faire désintégrer de plusieurs façons différentes ou de cruels animaux (insectes rares, serpents très venimeux, rats…) mais aussi titiller le surnaturel grâce à l’utilisation d’artefacts magiques et ainsi passer de l’émerveillement à l’effroi dans un même élan de sidération, laissant une part de mystère propre à stimuler grandement l’imaginaire longtemps après la vision.

L’enfant, s’il a été emporté par le spectacle peut ainsi continuer l’aventure en allant à la source de ce qu’est Indiana Jones : les romans de Jules Vernes, les aventures de l’espion James Bond, mais aussi les jeux vidéos Tom Raider mettant en scène Lara Croft, une cousine de l’aventurier au chapeau. C’est aussi un tremplin pour se documenter sur le passé des hommes, l’Histoire et ses mystères, et peut-être créer des vocations…

L’angoisse de mort avec BeetleJuice

Un couple de jeunes mariés récemment décédés, se voient condamnés à hanter leur maison récemment achetée. Dés l’arrivée de nouveaux propriétaires, des new-yorkais branchés et snobs, le couple va se décider à les faire fuir en leur faisant peur. Échouant après plusieurs tentatives, ils vont se décider à demander les services d’un fantôme professionnel et exorciste en interim : Beetlejuice.

Beetlejuice est une comédie macabre permettant de déconstruire la peur de la mort. En effet, le film a ce talent de rendre le fantastique ordinaire et le quotidien monstrueusement grotesque. Le couple, par sa banalité et ses échecs à vouloir faire peur devient attachant tandis que les nouveaux occupants sont irritants et finalement plus bizarres que les gentils fantômes un peu paumés dans un au-delà difficile à cerner. La composition de Michael Keaton en démon lubrique est irrésistible, et la scène légendaire où les convives d’un dîner sont possédés par la Banana Boat Song, de Harry Belafonte, est un moment d’anthologie drôlissime.

Le film alterne intelligemment le macabre et le rire, l’épouvante et le grotesque, la chronique quotidienne et l’expressionnisme, la terreur face à la mort et le surréalisme des séquences d’animation en multipliant les idées étranges et loufoques (la bureaucratie absurde qu’est l’au-delà avec son lot de personnes mortes dans des conditions débiles) jusqu’à finir dans un carnaval surnaturel et baroque. Cela induit chez l’enfant l’idée de déréaliser le drame que peut être la mort, qui n’a d’importance que celle qu’il lui donne et permet de passer un bon moment avec une histoire de fantôme qui, ironiquement, ne fait pas peur !

Jurassic Park et la vulnérabilité humaine

John Parker Hammond, le PDG de la puissante compagnie InGen, parvient à donner vie à des Dinosaures grâce à la génétique et décide de les utiliser dans le cadre d’un parc d’attractions qu’il compte ouvrir sur une île au large du Costa Rica. Avant l’ouverture, il fait visiter le parc à un groupe d’experts pour obtenir leur aval. Pendant la visite, une tempête éclate et un informaticien corrompu par une entreprise rivale en profite pour couper les systèmes de sécurité afin de voler des embryons de dinosaures. En l’absence de tout système de sécurité pendant plusieurs heures, les dinosaures s’échappent sans mal, et la visite va tourner en exercice de survie pour nos héros.
L’objectif du réalisateur ayant été de filmer ces créatures comme des animaux et non comme des monstres, la fascination des dinosaures procède de deux façons dans l’esprit de l’enfant : l’émerveillement fait suite à la panique, avec ce qu’il faut de pédagogie pour expliquer au spectateur le pourquoi des actions de ces gigantesques bestioles, parfois féroces pour des raisons alimentaires, parfois placides par indifférence avec notre modeste taille. La musique exprime très clairement ces deux sentiments, à la fois grandiloquente et rassurante.
Le dinosaure est une figure à la fois inquiétante et rassurante pour l’enfant : comme un aïeul disparu appartenant à une autre ère, ils permettent de donner un support aux peurs des enfants et sont une sorte d’antidote dans la mesure où ils n’existent plus. Ils ne risquent donc pas de venir leur tirer les pieds dans leurs lits ! Les personnages des enfants vont dans le film connaitre une somme d’expériences variables avec cette espèce disparue : d’un éternuement gluant à une électrocution violente, sans oublier le clou du spectacle lors d’un intense jeu du « chat et de la souris » dans la cuisine avec deux vélociraptors à leurs trousses, le suspense va se transformer en plaisir de voir l’humain comme un potentiel gibier alors qu’il est courant de se vivre l’inverse dans le monde réel.
Pour l’enfant, apprendre leurs noms, leurs caractéristiques est aussi une manière pour les plus jeunes d’apprivoiser les émotions qu’ils ressentent en les découvrant : « quand les choses sont nommées, elles font moins peur ».

Ghostbuster

Où SOS Fantome passe, les spectres trépassent !

Gremlins et le rapport aux interdits

Gremlins raconte l’étrange histoire d’un inventeur, Rand Peltzer, qui cherche un cadeau pour son fils. Il arrive alors dans un magasin chinois, y entend le chant d’un mogwaï : petite bête poilue inconnue. Il décide de l’acheter. Quand il revient chez lui, il donne à son fils cette créature innocente qui va engendrer malgré elle une ribambelle de monstres facétieux et sadiques qui vont saccager la petite ville de Kingston Falls le soir de Noël.
Oscillant entre le frisson et l’humour Gremlins est une véritable création chorale, devant sa mythologie (dont les fameuses règles : ne pas exposer le Mogwai à la lumière et à l’eau, et ne pas le nourrir après minuit) à Chris Columbus, sa tonalité familiale à Steven Spielberg et sa folie caustique à Joe Dante.
Cette dernière dimension est le produit de sa vision un peu absurde et satirique du monde : ce sont les passages où les petites créatures maléfiques s’amusent à détourner les conventions sociales qui donnent les séquences les plus populaires du film, comme cette scène référentielle durant laquelle les Gremlins assistent à la vision de Blanche Neige et les sept nains dans une grande salle de cinéma, en reprenant la célèbre chanson à tue-tête !
Mais le Gremlin sert aussi aux créateurs à cibler les vices des adultes (la séquence du bar) soulignant l’aspect peu reluisant de l’humanité, pour le plus grand plaisir des enfants. Le Gremlin peut refléter par ailleurs une version moderne du « Trickster » ce petit farfadet taquin qu’on appelle aussi le fripon. Carl Gustav Jung eut l’occasion d’écrire sur ce dernier : c’est un farceur, un être enfreignant toutes les règles et qui ne laisse personne indifférent, un petit personnage mythique présent dans chaque culture. Il serait un “archétype”, et représenterait un “miroir de l’esprit” humain, faisant partie de l’inconscient collectif. Le fripon serait pour Jung la part infantile de l’humain. Ainsi dans l’enfant intérieur, l’homme y retrouverait de son Anima (élément féminin au sein de la psychologie de l’homme), de son Ombre (l’éternel opposé), quant à la femme, elle y retrouverait de son Animus (élément masculin au sein de la psychologie de la femme), et aussi de son Ombre.
Jung note que le fripon, au terme d’apprentissage deviendra un être humain, un sujet amenait à se diriger vers le “Soi”, et la question de l’individuation : après s’être fait une place dans la société, l’humain souhaite libérer le « Soi », exprimé par le gremlin/fripon.
Les gremlins sont à la fois le reflet de problématiques adolescentes du jeune Billy en construction et celui de la deuxième moitié de vie de monsieur Peltzer, en prise avec ses démons intérieurs pour se réaliser. En tout cas pour les enfants, le Gremlin sonne le coup de sifflet pour produire le plus grand de bêtises et d’interdits à briser, du moins hors de la lumière du soleil…

E.T. et l’apprentissage de la vie grâce à l’ami imaginaire

E.T. l’extraterrestre raconte l’histoire d’un extraterrestre botanique qui va faire la rencontre d’Eliott, un enfant qui va l’aider à retrouver son foyer.

Durant cette histoire qui télescope intrigue de science-fiction, drame familial et ambitions spirituelles, l’enfant va entre autres apprendre à mieux appréhender le monde réel en remplaçant un membre absent de la famille par un copain intersidéral de substitution. Pour surmonter la disparition d’un être apprécié, les personnages du récit doivent vivre le divorce récent de leurs parents et faire l’expérience de l’abandon. On ne se préoccupe plus de cet univers du quotidien que l’on ne connaît que trop bien pour se concentrer alors sur l’élément extraordinaire qui s’y invite, afin de se dépasser cette triste réalité. Les enfants ne sont d’ailleurs pas toujours montrés comme de parfaits innocents malgré le drame qu’ils vivent mais comme des personnes réelles, ce qui permet une meilleure identification : ils ont des défauts (petits mensonges, roueries, et disputes dans la fratrie),  mais peuvent montrer du courage, du dynamisme, et parviennent même à semer les adultes avec leurs vélos. Ce sont eux qui veulent le bien de l’autre et illustrent ce qu’est la Force du faible : des enfants motivés à aider malgré leur peu de moyens permettent de surmonter les complexes et donner du courage au jeune spectateur abattu par la vie.

Le personnages vont vivre d’autres apprentissages comme la communication : une relation magico-mentale va s’installer entre l’extraterrestre et Eliott. E.T. peut en effet transmettre au jeune garçon ses émotions par télépathie et même influencer son comportement, ce qui donne lieu dans le film à des scènes très cocasses. Avec humour et poésie, Spielberg initie le jeune spectateur aussi à l’empathie : bien que l’extraterrestre soit particulièrement laid, sa bonté et son grand cœur vont toucher les enfants de manière spirituelle. Une image symbolique qui renvoie aux très nombreuses notions évangéliques du film que se soit au niveau narratif (E.T débarque sur Terre, prend contact avec les hommes pour les rendre meilleur, meurt pour eux, ressuscite et monte au cieux) ou visuel (l’affiche et sa reprise du tableau de la création d’Adam par Michel-Ange).

En outre l’angoisse que le récit distille vient des adultes qui, à part la mère rassurante, sont présentés comme une menace tout le long du film. Illustrés autrement par d’iconiques silhouettes inquiétantes dés la scène d’ouverture, les adultes courent après un mystère qu’ils n’arrivent pas à comprendre. La manière dont le personnage interprété par Peter Coyote est illustré pendant les trois-quarts du film pourrait résumer cette idée. Le réalisateur choisit de caractériser le personnage par un trousseau de clefs. A quoi servent-elles ? Nous n’en saurons jamais rien. Ces clefs n’ont aucune utilité alors qu’elles devraient pouvoir ouvrir des portes et symboliquement permettre de changer ses perspectives. De perspective, les adultes ne semblent plus en avoir et le personnage de Coyote devient la projection adulte d’Elliot. Il est ce qu’Elliot deviendra lorsqu’il aura grandit s’il n’avait pas pu rencontrer E.T à un âge où il avait suffisamment d’innocence pour réussir à vouloir communiquer.

Spielberg dépeint un monde malade qui doit accepter de se connaître lui-même. Un tel parcours étant rude, on est toujours prêt à accepter l’aide de n’importe qui, spécialement si cet être vient d’ailleurs.